Pédagogie

Qu’est-ce que vos élèves apprendront par la création d’un profil historique Facebook?

Bien que l’utilisation de Facebook comme outil d’apprentissage ne soit pas très conventionnelle, la philosophie pédagogique qui sous-tend ce travail demeure fermement enracinée dans la théorie du constructivisme et des « meilleures pratiques » émergentes en didactique numérique.[1] Le travail que nous proposons a été conçu de manière à intéresser les élèves et à leur permettre de prendre leur apprentissage en main.

Au tout premier niveau, ce travail les aidera à mieux comprendre le contexte entourant la Première Guerre mondiale à l’échelle nationale, régionale et locale. Ils apprendront à rédiger de courts arguments et ils s’initieront à la recherche d’archives ainsi qu’aux approches méthodologiques utilisées en recherche historique. Bien que l’utilisation de Facebook soit un appât pour éveiller l’intérêt des élèves et les aider à mieux saisir la complexité de cet évènement historique, elle vise aussi à personnaliser l’histoire et à la rendre plus significative.

Les élèves à qui nous avons parlé pendant la conception de ce travail partagent un même désir, soit celui de trouver une façon d’établir un rapport avec l’histoire. Ils s’accordent sur le fait que c’est important de connaître l’histoire, mais ils éprouvent souvent de la difficulté à expliquer son lien avec leur quotidien. Un média comme Facebook nous permet de construire un pont à partir duquel les élèves peuvent explorer le passé et lui donner un sens.

Lorsqu’on réalise que l’adolescent moyen passe 7,5 heures par jour sur Facebook[2], l’utilisation de cet outil pour intéresser les élèves va pratiquement de soi. Cependant le travail historique Facebook ne fait pas qu’éveiller leur intérêt, il nous permet de relier leur programme d’études à leur vie hors des cours.

Par ailleurs, Facebook est considéré comme un élément identitaire quasi essentiel dans notre monde. Certains employeurs réagiraient même négativement envers les personnes qui n’ont pas de profil Facebook.[3] Ce média constitue aujourd’hui une intersection entre le monde réel et le monde numérique. Angela Thomas, dont le domaine principal de recherche porte sur Internet, traite « de l’aspect sémiotique de l’identité numérique » qu’elle présente concrètement sous forme de récits personnels et de descriptions de pratiques Facebook.[4] Jumeler Facebook à un travail historique nous permet de nous connecter au sens du soi des élèves afin de les aider à créer un lien entre l’histoire et leur vie.

L’humanité est une espèce sociale qui vit en groupe. Pour comprendre notre comportement, nous devons donc intégrer nos relations avec les autres dans notre analyse. En encourageant les élèves à s’intéresser activement aux relations sociales d’un personnage historique, nous les aidons à apprivoiser la complexité de l’histoire.

Les particularités de Facebook constituent un élément important de ce travail tout comme l’intégration d’outils numériques pour accroître ou améliorer le contenu de l’enseignement traditionnel. Les chercheurs en didactique ont indiqué que l’intégration de la technologie, en particulier la technologie Internet, dans les cours d’histoire et de sciences humaines peut encourager les élèves à s’investir activement dans la recherche.[5]

Le travail que nous proposons présuppose que les enseignants ont revu les notions de base sur la Première Guerre mondiale avec leurs élèves. Ces notions de base sont enrichies par des exemples concrets des thématiques majeures reliées à la guerre. En amenant les élèves à s’approprier un profil historique Facebook, ce travail leur permettra de construire leur propre compréhension de cette guerre et les encouragera à se construire une compréhension personnelle du passé.

La construction est d’ailleurs un autre élément clé de ce travail. Les premières utilisations d’Internet en milieu scolaire ont lancé un débat sur la meilleure façon d’utiliser la technologie dans les classes. Un nombre croissant d’études suggèrent que les pratiques de recherche, d’enseignement et d’apprentissage de l’histoire sont influencées par les développements technologiques.[6] De ce débat est ressorti un consensus selon lequel l’utilisation des technologies Internet en histoire et en sciences humaines devrait être comprise dans un cadre constructiviste.

La perspective constructiviste présente plusieurs caractéristiques, dont voici les plus pertinentes en ce qui concerne notre objectif :[7]

  • l’apprentissage est collaboratif et se fait dans un milieu social
  • le savoir est tangible et authentique
  • l’apprentissage est actif

En accord avec Calandra et Lee, nous pensons que les élèves devraient créer « des artéfacts tangibles et authentiques à partir de sources prises parmi d’autres éléments numériques afin de construire un savoir au contenu historique » :[8]

  • la technologie devrait servir à créer l’authenticité en classe
  • la flexibilité technologique devrait permettre aux élèves d’explorer des sujets d’intérêt personnel
  • la technologie devrait être utilisée pour augmenter et non remplacer le savoir antérieur
  • la technologie devrait être utilisée pour favoriser une pensée autonome, créative et intellectuelle

Selon une théorie sur l’apprentissage cognitif dans des environnements multimédias, l’apprenant devrait être vu comme un constructeur de savoir qui choisit et construit de façon personnelle les pièces de son savoir verbal et visuel.[9] Cette position provient de la théorie de Wittrock (1974) selon laquelle il y a apprentissage lorsque les apprenants choisissent l’information pertinente parmi les renseignements présentés, organisent ces bribes d’information et intègrent la représentation nouvellement construite à d’autres éléments.

Nous retenons de ces propos que les apprenants ne sont pas des récepteurs d’information passifs, mais plutôt des participants actifs. Les élèves devraient avoir les outils pour construire leur savoir par l’expérience. Dans ce travail, nous passons à l’élève le contrôle de l’apprentissage.

Le profil historique Facebook permet aux apprenants de se responsabiliser et de contrôler leur processus d’apprentissage. Par exemple, en construisant « des publications ou des mises à jour de leur statut », les élèves créent des preuves tangibles et concrètes qui témoignent de leur compréhension du matériel historique. Ces artéfacts sont ensuite partagés afin que le processus d’apprentissage ne soit pas seulement un processus introspectif, mais aussi collectif. En d’autres mots, la création d’un profil historique Facebook donne une pertinence personnelle et collective à un évènement ou à une interprétation historique.

Le fait de partager les produits d’apprentissage constitue souvent une motivation à en apprendre davantage sur le sujet. Un environnement partagé devient un « test » implicite du savoir des élèves. Puntambakar et Kolodner suggèrent que lorsque les élèves participent « aux cycles conception/évaluation/nouvelle étape de conception, ils ont aussi l’occasion de confronter leur compréhension et leur incompréhension des… concepts ». (185) Ce type d’apprentissage fournit un environnement qui engendre une hausse de la motivation personnelle et du soutien par les pairs.[10] Cela veut dire que l’apprenant est le concepteur et non seulement le récepteur du matériel.

Les élèves perçoivent souvent l’histoire comme étant « sans intérêt » soit parce qu’elle n’est pas connectée à leur quotidien soit parce qu’elle est enseignée comme une litanie d’évènements et de dates. Ce travail renforce le processus dynamique de l’histoire. Il donne aux élèves l’occasion de créer un lien personnel avec la recherche. Il leur permet de prendre le contrôle de leur apprentissage tout en renforçant leurs connaissances de base sur la Première Guerre mondiale au Canada et en leur inculquant de bonnes pratiques de recherche en histoire.


[1] See Brendan Calandra and John Lee, “The Digital History and Pedagogy Project: Creating an Interpretative/pedagogical Historical Website,” Internet and Higher Education 8(2005); 232, 232-333.

[2] Victoria J. Rideout, Ulla G. Foehr and Donald F. Roberts, Generation M2: Media in the Lives of 8- to 18-Year-Olds (Menlo Park, CA & Washington, DC: A Kaiser Family Foundation Study. January 2010) http://www.kff.org/entmedia/8010.cfm.

[3] Kasmir Hill, “What Employers are Thinking When They Look at Your Facebook Page,” Forbes (3/6/2012): http://www.forbes.com/sites/kashmirhill/2012/03/06/what-employers-are-thinking-when-they-look-at-your-facebook-page/

[4] Angela Thomas, Youth Online: Identity and Literacy in the Digital Age (New York: Peter Lang, 2007) 6.

[5] John Lee, “Digital History in the History/Social Studies Classroom,” The History Teacher 35:4 (2002): 503-518, John Lee, “Principles for Interpretative Digital History Web Design,” Journal for the Association of History and Computing 5:3 (2002) and P. VanFossen “Degree of Internet/WWW use and Barriers to use among Secondary Social Studies Teachers,” International Journal of Instructional Media 28: 1 (2001): 57-74.

[6] Edward Ayers, The Past Present and Future of Digital History (University of Virginia: 1999); Barlow, J. G. (1998). Historical research and electronic evidence: Promises and practice. In D. A. Trinkle (Ed.), Writing, teaching, and researching history in the electronic age (pp. 194–225). Armonk, New York 7 M. E. Sharpe Inc.

[7] Constructivist approaches to learning has a massive volume of literature. For a good introduction to digital products see: P. Doolittle and D. Hicks, “Constructivism as a theoretical foundation for the use of technology in social studies,” Theory and Research in Social Education, 31:1 (2003): 71-103.

[8] Brenda Calandra and John Lee, “The digital history and pedagogy project: Creating an interpretative historical website,” Internet and Higher Education 8 (2005): 323-333.

[9] RE Mayer, Multimedia Learning (New York: Cambridge University Press, 2001) 13.

[10] A Bruckman, “Community Support for Constructivist Learning,” The Journal of Collaborative Computing 7 (1998): 7, 47-86.