Élections de 1911 – Réciprocité

Aux élections de 1911, les conservateurs de Robert Borden font face aux libéraux de sir Wilfrid Laurier. Âgé de 69 ans, Laurier est premier ministre depuis quinze ans. À une époque où l’impérialisme faisait une remontée au Canada anglais, il avait réussi à se maintenir au pouvoir en faisant moult compromis et en adoptant une approche centriste. On pourrait penser que l’élection de 1911 a profondément changé la politique canadienne. Après tout, une majorité libérale de 50 sièges fera place à une majorité conservatrice de 47 sièges. Pourtant, les conservateurs n’ont obtenu qu’un gain net de 4,2 % du vote populaire. Le Québec était le talon d’Achille des libéraux et le pourcentage pour les conservateurs y est amplifié de 11,3 %, car la population délaisse les libéraux et vote pour d’autres partis. Deux grands enjeux définissent cette campagne électorale : la Loi du service naval de 1910 et le traité de réciprocité avec les États-Unis.

Sir Robert Borden

Sir Robert Borden

Sir Wilfred Laurier

Sir Wilfred Laurier

La Loi du service naval de 1910

La Loi du service naval de 1910 qui met sur pied la Marine royale canadienne n’est qu’un des exemples de l’approche centriste de Laurier. Les impérialistes souhaitent voir le Canada suivre l’exemple des autres dominions et contribuer argent et main-d’œuvre à la Marine royale. Concentrée dans sa forteresse libérale québécoise, l’opposition était contre toute contribution canadienne. Le compromis consiste donc à créer une marine canadienne qui aura un rôle à jouer dans la flotte impériale mais qui restera fermement sous contrôle canadien. L’approche centriste de Laurier lui fait perdre des votes des deux côtés de la question. Au Québec, on lui reproche d’avoir cédé aux intérêts des impérialistes alors que ces derniers l’accusent d’abandonner la seule marine vraiment apte à défendre l’Empire dans le but d’apaiser le Québec.

 
 
 

La réciprocité

Depuis longtemps, les libéraux sont favorables au libre-échange avec les États-Unis. En 1911, Laurier est assuré de perdre des sièges au Québec et se retrouve à la tête d’un parti quelque peu désorganisé. Il fait donc le pari d’obtenir le soutien des agriculteurs avec un accord de libre-échange. Après plusieurs rondes de négociations, Taft [le président américain] et Laurier décident de poursuivre une entente de réciprocité par voies législatives plutôt que par traité, donnant ainsi à Laurier la pièce maîtresse de sa réélection. Laurier est convaincu que le libre-échange représente des avantages immenses, en particulier pour l’industrie primaire et l’agriculture. L’exportation canadienne aura accès à de plus grands marchés; les outils et la machinerie agricole coûteront moins cher. Il ne faut pas se surprendre que le secteur industriel canadien, qui profite de mesures protectionnistes, se soit opposé à cette idée.
Reciprocity - NY Times 16 Feb 1911

En plus d’avancer des arguments économiques contre la réciprocité, les conservateurs de Borden agitent le spectre des ambitions américaines sur le continent. Dans un discours généralement bien équilibré prononcé devant le Congrès américain, Taft parle du Canada comme d’un pays « à la croisée des chemins ».[1] Profitant de l’occasion pour attiser la ferveur impérialiste, les conservateurs canadiens affirment que ce discours démontre les visées expansionnistes du gouvernement américain. Ajoutant de l’huile sur le feu, Champ Clark, l’orateur de la Chambre américaine des représentants, déclare sans aucune subtilité :

« Je suis en faveur [de l’entente de réciprocité] parce que j’espère voir un jour le drapeau américain flotter au-dessus de chaque pied carré des possessions britanniques en Amérique du Nord, et cela, jusqu’au pôle Nord. »[2]

Malgré une condamnation rapide de ces commentaires par le président américain et de solides reproches adressés par Laurier, l’anti-américanisme et la colère impérialiste ne peuvent être contenus. Laurier et les libéraux sont dépeints comme des traitres prêts à vendre le Canada aux intérêts américains et à abandonner l’Empire.

Les historiens ont donné plusieurs interprétations de l’élection de 1911. Certains ont insisté sur l’état de délabrement général du Parti libéral. J. W. Dafoe a soutenu que la réciprocité était

« un geste désespéré par une administration vieillissante pour éviter sa dissolution. La mort du gouvernement Laurier en 1911 n’était pas tant due aux assauts de ses ennemis qu’au durcissement de ses artères et à son vieil âge. »[3]

D’autres ont parlé du simple calcul économique fait par l’électorat qui démontrait que l’opposition était si importante en milieu urbain qu’elle ne pouvait être supplantée par l’appui des agriculteurs dans l’Ouest ou celui des Maritimes. Que le facteur décisif ait été la désintégration politique, l’économie, la Loi du service naval ou l’anti-américanisme, ou une combinaison des ces facteurs, la question continuera probablement à alimenter les débats historiques.

 
 
 

Les résultats

Quoique l’on connaisse bien les résultats de cette élection, les historiens poursuivent les débats sur l’impact de cet évènement en posant une question contrefactuelle : que serait-il arrivé si Laurier avait retrouvé le pouvoir en 1911 et avait donc été premier ministre pendant la guerre? Certains ont soutenu que s’il y avait eu un gouvernement plus ouvert envers les Canadiens français et les catholiques, l’histoire de la conscription et les résultats de l’élection de 1917, source importante de discorde nationale, auraient pu être différents.[4]

1911 Election


[2] W.M. Baker, “A Case Study of Anti-Americanism in English Speaking Canada: The Election Campaign of 1911” in The Canadian Historical Review, 1970, Vol 51 Issue 4, 439

[3] J.W. Dafoe, Laurier: A Study in Canadian Politics, Carleton Library No 3. Toronto, McLelland and Stewart, 1963, 44.

[4] Richard Johnson and Michael B. Percy, “Reciprocity, Imperial Sentiment and Party Politics in the 1911 Election” in Canadian Journal of Political Science,1980, Vol 13, Issue 4, 711.